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tutions de l’Occident. Le nom, qui désigne officiellement la première classe de l’État, en indique lui-même l’origine. Le russe dvorianine veut dire homme de cour, on pourrait traduire par courtisan, si le mot dans notre langue n’avait pris un tout autre sens[1]. Il semble que primitivement le dvorianine fut un officier ou dignitaire de la cour moscovite, plus ou moins analogue aux chambellans de l’Occident. Plus tard ce terme fut étendu à tous les gens au service personnel du souverain, ou, ce qui revenait au même, au service de l’État. Le dvorianstvo russe a gardé à travers l’histoire la marque de son origine ; c’est une noblesse de cour, une noblesse de service, qui, de nos jours comme jadis, s’acquiert de droit par le tchine, par un grade ou un rang déterminé dans l’armée ou dans l’administration.

La législation russe distingue deux sortes de noblesse : la noblesse transmissible, héréditaire (potomstvennaïa), et la noblesse personnelle (litchnaïa), qui ne descend point du père aux enfants. Pour nous, ces mots de « noble personnel » semblent une sorte d’antithèse, et l’anoblissement viager une contradiction. Séparée de l’hérédité, la noblesse n’est à nos yeux qu’un non-sens. Une telle institution accuse nettement le caractère particulier de la hiérarchie russe. Le dvorianstvo n’étant que la classe des serviteurs de l’État, il a bien fallu, lors de l’introduction en Russie de la bureaucratie compliquée de l’Occident, distinguer entre les fonctions élevées et les emplois inrérieurs. De là, parmi les gens au service public, la création de deux noblesses. À l’employé subalterne, ce titre de dvorianine personnel assurait les privilèges ou mieux les droits de

  1. Dvorianine, pluriel dvoriané, de dvor (cour), mot russe qui a presque tous les sens de son équivalent français et quelques autres en outre. Ainsi s’explique comment le mot, qui désigne la noblesse, a le même radical que dvornik, portier, et dvorosyi, lequel désignait les serfs attachés au service de la maison du maître. Peut-être pourrait-on du reste découvrir une analogie entre la position des dvorianes ou nobles vis-à-vis du tsar et celle des dvorovyé tsoudi ou serfs domestiques vis-à-vis de leur seigneur.