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cées par la même classe de fonctionnaires, souvent par les mêmes personnes, sans spécialité ni éducation professionnelle. La Russie de la première moitié du dix-neuvième siècle était encore, sous ce rapport, en arrière de la France du seizième siècle.

Les réformes de l’empereur Alexandre II, la réforme judiciaire en particulier, aideront à combler ce vide, en créant des emplois ou des professions qui exigent une sérieuse culture de l’esprit, en ouvrant à l’activité intellectuelle des débouchés multiples et honorables. Les universités et les progrès de l’instruction, les chemins de fer et l’accélération des communications, l’élargissement même du commerce et de l’industrie agissent dans le même sens. À côté de l’ancienne bourgeoisie exclusivement marchande, ils contribuent à faire surgir une bourgeoisie libérale, à l’esprit en éveil, aux aptitudes variées ; mais, c’est en dehors du cadre officiel de la bourgeoisie russe qu’il faut chercher cette future et véritable bourgeoisie. Elle se recrute dans toutes les classes, parmi les fils de marchands, et plus encore au sein de la noblesse. La prochaine classe moyenne, qui tôt ou tard sera la classe dirigeante, empruntera ses membres à toutes les catégories, à toutes les rubriques sociales de l’empire, en demeurant indépendante des unes et des autres ; elle grandira en dehors de toutes les distinctions de caste, et aura d’autant moins de peine à s’élever au-dessus des préjugés de naissance, qu’en dépit des apparences, de tels préjugés n’oni jamais chez les Russes été bien puissants.

Le principal résultat du dix-huitième siècle et des réformes de Pierre Ier ou de Catherine II a été la formation d’une haute classe cultivée, d’une noblesse élevée à l’européenne ; un des principaux résultats du dix-neuvième siècle et des réformes de l’empereur Alexandre II sera la création d’une classe moyenne, d’une bourgeoisie vraiment européenne et moderne. Les progrès faits en ce sens depuis cinquante ans sont faciles à suivre. « Le tiers état