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droits égaux et travaillent pour le bénéfice commun, sous des chefs librement élus par leurs pairs ; il a peu de goût pour les corporations fermées, pourvues de privilèges et de monopoles, subdivisées hiérarchiquement en rangs ou échelons inégaux, comme nos anciens corps de métiers avec leur gradation de maîtres, de compagnons et d’apprentis. À cet égard, le peuple de l’Europe, chez lequel les divisions extérieures de classes ont le plus persisté, est peut-être de tous le plus naturellement étrangère l’esprit de caste et de subordination hiérarchique. L’esprit corporatif qui, en Occident, n’était qu’une forme de l’esprit féodal, l’esprit qui, dans le monde du travail, avait introduit le même principe de privilège et de vasselage que dans la propriété et la noblesse, ne se retrouve nulle part dans l’ancienne Moscovie et n’a pu triompher dans la Russie nouvelle. Catherine II tenta en vain de réunir les artisans en corps de métiers et de les diviser régulièrement en maîtrises ; en vain elle donna à chaque groupe des chefs élus et des bannières. Les corps de métiers, les tsekh, selon le nom emprunté de l’allemand (zeche), sont restés en Russie dés cadres inanimés, presque de simples registres d’inscription pour la police ; là où les corporations demeurent investies de leurs privilèges surannés, on ne voit pas que l’artisan et l’industrie nationale y aient rien gagné[1].



  1. Sur ce point, comme sur tant d’autres, il y a, dans les lois et dans l’administration, un défaut d’unité et de précision qui engendre trop souvent la confusion et l’arbitraire. La loi ne définit pas les métiers qui doivent être formés en corporation ; aussi l’exercice de tel ou tel métier est-il libre en certaines villes, tandis que en d’autres il est subordonné à l’obtention d’un certificat délivré par un tribunal d’artisans à la suite d’un examen.