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la mer, coupé de toutes les grandes routes commerciales par la Lithuanie, l’ordre Teutonique et les Tatars. Jean IV, Ivan le Terrible, l’ennemi des vieilles familles de kniaz et de boîars, avait cherché à relever les habitants des villes, les bourgeois de Moscou en particulier ; mais la main des tsars ne sut pas implanter en Moscovie les libertés municipales qu’elle déracinait à Novgorod et à Pskof, où elles avaient longtemps fleuri. L’absence mâme de féodalité ou d’aristocratie, qui au premier abord semblerait avoir dû favoriser l’éclosion de la bourgeoisie, y mit plutôt obstacle. Les souverains n’eurent pas autant d’intérêt à s’appuyer sur les villes, et les villes ne trouvèrent point dans les discordes des grands vassaux et du pouvoir central une occasion d’affranchissement ou d’élévation.

Dans toutes ces villes sans industrie, sans moyens de communication, presque sans population, il n’y avait à l’avènement de Pierre le Grand, en dépit de quelques nouvelles tentatives de son père Alexis, rien qui méritât le nom de bourgeoisie.

Une telle lacune ne pouvait manquer de frapper le tsar artisan, dont le modèle de prédilection était le pays le plus bourgeois de l’Europe, la Hollande. Une classe moyenne, une bourgeoisie ne se pouvait malheureusement improviser aussi vite qu’une flotte et une armée. Les règlements spéciaux de Pierre le Grand, l’autonomie administrative et le self-government dont il dota les villes, contribuèrent peut-être moins à la création d’une classe urbaine que l’activité générale du réformateur, l’introduction de nouvelles industries et de nouveaux moyens de communication, et surtout l’ouverture de la Russie à l’Europe. Les progrès furent cependant lents. La mauvaise administration des successeurs de Pierre, les restrictions apportées aux privilèges des villes et des marchands, enfin, sous l’impératrice Élisabeth, l’érection des principales branches de commerce en monopoles, concédés à des favoris de cour, retardèrent de plus d’un demi-siècle la naissance d’une classe moyenne.