Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pièces et parfois déjà populeuses, les paysans sont nombreux et les mœurs restent encore à demi rurales. Il n’y a le plus souvent ni bourgeoisie, à notre sens français du mot, ni plèbe urbaine, comparable à la population ouvrière de nos grandes cités et de nos faubourgs.

L’ancienne Moscovie faisait peu de distinction entre les villes et les campagnes, entre le bourgeois et le paysan, dont la Russie moderne a formé deux classes séparées. Aux voyageurs étrangers la position de l’un semblait peu différente de celle de l’autre. L’Anglais Fletcher, ambassadeur de la reine Élisabeth près du fils d’Ivan le Terrible, regardait le marchand et l’artisan comme faisant partie de la dernière classe du peuple, désignée par lui sous le nom humiliant de moujiks[1]. Ce n’est guère qu’au dix-septième siècle que, devant l’administration, les villes sont généralement distraites des campagnes. Ce n’est qu’à cette époque, lors de l’établissement du servage pour les paysans, que les populations urbaines commencent à être regardées comme une classe distincte, et les villes comme des communes à part, constituées sur un plan spécial[2]. Jusque là, les villes ou bourgs des provinces et les paysans des districts étaient d’ordinaire soumis au même droit et aux mêmes autorités. La position du bas peuple des villes n’était guère plus enviable que celle des cultivateurs de la campagne. Le bourgeois, l’homme taillable (tiaglyi tchelovêk), était fixé (prikrêplen), enchaîné à sa ville natale comme le paysan l’était à la terre, et cela pour des motifs analogues, afin que le fisc ne fût point frustré

  1. Fletcher, ch. ix. Ivan le Terrible lui-méme, dans ses lettres à la reine Elisabeth, donne aux négociants anglais, venus en Russie pour y trafiquer, le nom dédaigneux de moujiks de commerce.
  2. Tchitchérine, Oblasinyia outchregdéniia Rossii v XVII° véké, p. 562-567. Il va sans dire que ce qui suit, sur le régime des villes moscovites, ne s’applique point à Novgorod et à Pskof, dont les habitants avaient gardé le droit de se gouverner eux-mêmes, et où, comme dans les républiques d’Italie, se retrouvent les luttes des riches et des pauvres, du popolo grosso et du popolo minuto.