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Le même phénomène, la même disproportion entre les villes et les campagnes, se rencontre, à des degrés divers, chez la plupart des peuples slavons, chez les Slaves de l’occident comme chez les Slaves de l’est et du sud. C’est, on peut le dire, un des principaux signes, et en même temps une des principales causes de l’infériorité historique des nations slavonnes. Au premier abord, les Slaves de l’ouest, les Tchèques et les Polonais semblent, à cet égard comme à bien d’autres, se séparer de leurs frères slaves pour se rapprocher de l’Europe occidentale. Le royaume de Pologne en particulier s’éloigne singulièrement par ce côté de l’empire auquel il est rattaché. La population urbaine et la population rurale y sont à peu près dans le même rapport que dans les plus riches contrées de l’Europe germano-latine. La proportion de l’une à l’autre est comme 1 à 3 : près de 2 millions d’habitants dans les villes, près de 6 millions dans les campagnes. Par malheur cette ressemblance même est trompeuse. La population de ces villes polonaises est en grande partie Israélite ou allemande, et trop fréquemment, par l’esprit et les intérêts comme par l’origine, elle est restée étrangère au peuple slave qui l’entoure. Ces villes de Pologne, souvent fondées par des colons allemands et toutes plus ou moins peuplées de Juifs parlant un patois allemand, ces villes jadis régies pour la plupart par le droit allemand de Magdebourg, demeuraient isolées au sein d’une république de gentilshommes, confinées dans leur étroite enceinte, enfermées dans leurs privilèges, sans place dans la constitution, sans rôle dans l’État, sans influence sur la civilisation et la politique du pays, pour lequel ce défaut de bourgeoisie nationale ne fut pas une des moindres causes de ruine. Dans l’ancienne Pologne, les villes étaient au milieu du peuple comme des colonies à demi étrangères ;

    sans à la recherche de terres nouvelles, la colonisation moderne, là comme ailleurs, procède en grande partie par les villes.