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Parmi les classes accessoires, placées en dehors et comme dans l’intervalle des classes normales, une seule mérite encore une mention, c’est celle dont les membres portent le nom bizarre d’odnodvortsy (mot à mot, unicours), c’est-à-dire d’hommes d’une seule cour ou d’une seule maison, possesseurs d’une seule terre. Les odnodvortsy sont des hommes libres, qui, à l’inverse du paysan de la Grande Russie, possèdent la terre qu’ils cultivent en pleine propriété individuelle et héréditaire. À cet égard, ils se rapprochent des nobles, tandis que, par l’éducation et la situation de fortune, par la capitation et le recrutement qui pesaient sur leur tête comme sur les dernières classes de la nation, ils méritent plutôt d’être comptés parmi les paysans. Cette classe, ainsi intermédiaire entre les deux grands ordres de l’État, comptait, croyons-nous, de 2 à 3 millions d’âmes des deux sexes. Parmi ses membres, quelques-uns ont atteint une aisance rare chez le paysan, d’autres sont tombés au niveau des plus pauvres mougiks. Les odnodvortsy pourraient, de même que les Cosaques, être envisagés comme les représentants d’un autre âge de la société russe. Leur origine est assez obscure, leurs rangs semblent s’être recrutés dans plusieurs classes différentes. Les odnodvortsy se regardent eux-mêmes, parfois peut-être avec raison, comme des nobles appauvris et dépouillés de leurs privilèges. La plupart paraissent descendre d’anciens soldats, colonisés jadis le long des frontières méridionales de la Moscovie, et, en échange de leurs services, pourvus de terres longtemps exemptes d’impôt. Ces cultivateurs militaires formaient, vis-à-vis des Tatars, une ligne d’observation et de défense qui, en se reportant peu à peu vers le sud, pénétrait graduellement dans les steppes. Encore aujourd’hui, c’est dans les gouvernements de Voronège, de Koursk, d’Orel, dans les provinces frontières de l’ancienne Moscovie, que se rencontrent le plus de ces odnodvortsy. Quoi qu’il en soit de leur origine, ils sont, en dehors de la noblesse, presque les seuls représentants de la propriété territoriale,