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Cosaque » est pour le Rosse une locution fortement expressive, car elle désigne l’homme qui n’a subi ni le joug étranger, ni la servitude de la glèbe. Chez les principaux groupes cosaques, chez ceux du Dnieper et ceux du Don, régnait jadis l’égalité, non moins que la liberté. Les uns et les autres, les premiers sous la suzeraineté de la Pologne, les seconds sous le sceptre moscovite, formaient une sorte de république démocratique. Ils élisaient eux-mêmes leurs chefs, leurs atamans et ne reconnaissaient entre eux pas plus de nobles que de serfs[1].

À cet égard, l’extrême sud de la Russie ressemblait à certaines régions de l’extrême nord, où le servage et la noblesse n’ont pour ainsi dire point pénétré. Comme les paysans d’Archangel ou de Viatka, les Cosaques ont longtemps conservé les formes d’une ancienne société russe, étrangère aux distinctions de classes ; ces libres colons de la steppe, longtemps recrutés de serfs fugitifs, avaient laissé derrière eux, dans la patrie qu’ils fuyaient, toute trace de hiérarchie sociale. Les distinctions de classes sont peu à peu rentrées chez eux avec l’administration de la Russie moderne. La noblesse a été conférée à leurs officiers, et de l’ancienne égalité, comme de l’ancienne liberté cosaque, il ne reste guère qu’un souvenir[2].

  1. Sur les anciens Cosaques de la Petite et de la Grande-Russie, le lecteur français peut consulter avec fruit les Cosaques d’autrefois de Mérimée, ouvrage qui n’est qu’une réduction des travaux d’un des plus éminents historiens de la Russie, M. Kostomarof. — Les Cosaques des époques plus récentes, formant l’avant-garde de la puissance russe, ont singulièrement contribué à la conquête et à la colonisation des steppes du sud-est et de certaines régions de l’Asie. De tous les États modernes la Russie est peut-être celui qui a su tirer le meilleur parti de la colonisation militaire.
  2. Le servage même avait fini par être introduit chez les Cosaques du Don, et, au moment de l’émancipation, le territoire de l’armée (voïsko) du Don était un des pays qui comptaient le moins de paysans libres. Buschen : Bevölkerung des Russ. Kaiserreichs. Quant aux exemptions et privilèges administratifs ou financiers des Cosaques, ils ont été peu à peu restreints et presque annihilés par les progrès constants de la centralisation, aussi bien que par les progrès du commerce et des voies de communication. C’est ainsi que l’individualité, comme l’autonomie, de la plupart des Cosaques est en train de disparaître.