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cloisons intérieures, il y a des compartiments plus petits, des cases accessoires ou secondaires, les unes, débris d’une organisation antérieure, les autres, destinées aux habitants des pays plus ou moins récemment annexés qui rentraient difficilement dans les anciens cadres nationaux. Jusqu’aux réformes d*Alexandre II, l’armée, de même que le clergé, pouvait être regardée comme une classe particulière. Dans la statistique russe, les soldats, leurs femmes et leurs enfants, figuraient au milieu de la nomenclature sociale sous une rubrique spéciale[1]. C’était là une conséquence du long service militaire : quand on restait au régiment vingt ou vingt-cinq ans, on entrait dans l’armée à peu près comme dans le clergé, pour la vie[2]. Le paysan enrôlé cessait d’appartenir à sa commune natale ; une fois rasé, il ne revêtait plus le costume de sa jeunesse. Le plus souvent, lorsque l’âge le faisait sortir du service, il continuait, dans les petits emplois qui lui étaient accordés, ou dans les lieux où il sollicitait la charité publique, à porter la capote militaire. C’est seulement depuis 1872 et 1874, depuis la réduction de la durée du service, que l’appel sous les drapeaux a cessé d’enlever le conscrit à la classe et à la commune où il est né.

Dans la première moitié du siècle, sous le règne d’Alexandre Ier, il y eut un moment où, grâce aux colonies militaires d’Araktcheief, le métier des armes sembla devenir une profession viagère et héréditaire. Dans certains districts, dont les habitants portaient le nom de soldats cultivateurs, les filles, comme les garçons, étaient, de par la loi, vouées à l’armée, destinées en naissant à épouser et

  1. Ces statistiques, mal comprises de l’Occident, ont souvent été la cause de singulières erreurs. On donnait le chiffre de la classe comme celui de l’armée sans s’apercevoir que ce chiffre, à l’égard des Cosaques en particulier, portait pour plus de la moitié sur des femmes et des enfants.
  2. Le long service était en partie une conséquence de l’organisation sociale ; de fréquentes levées et de gros contingents eussent ruiné les propriétaires en leur enlevant leurs serfs, qui, une fois entrés dans l’armée, étaient de droit émancipés.