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l’esprit russe. Cette prétention, qui date de l’école slavophile, est du reste commune à tous les peuples slaves, en dehors des Polonais, lesquels, à cet égard comme à bien d’autres, se distinguent de leurs congénères. L’unité fondamentale du peuple, l’homogénéité sociale est donnée comme le trait distinctif du génie des Slaves, comme la marque caractéristique de leur civilisation et la principale condition de leur développement futur[1].

En Russie, l’individu n’est point, comme en France, isolé en face de l’État. Chaque homme est classé dans la nomenclature administrative sous une certaine rubrique, chacun appartient par la naissance ou la profession à un groupe déterminé dont il partage les droits et les obligations. L’État n’a point devant lui des citoyens ou des sujets, tous à ses yeux semblables et égaux, pareils à des unités abstraites » mais des groupes concrets, des classes (sosloviia) dont chacune a ses charges et ses privilèges particuliers. La loi distingue l’un de l’autre le noble, le prêtre, le paysan, l’habitant des villes. Jusqu’à ces dernières années, chacun d’eux avait une position différente devant l’administration et l’impôt, devant la justice et le recrutement militaire. Chacun des ordres ou des classes de l’État avait son organisation propre, ses formes corporatives, ses assemblées et ses chefs élus, quelquefois ses tribunaux et ses juges ; chacun avait la tutelle de ses membres mineurs, et parfois était responsable de ses membres majeurs. Ces charges ou ces immunités, comme ce self-government intérieur, persistent souvent encore ; mais les diverses classes ont cessé d’être tenues à l’écart les unes des autres.

Le gouvernement de l’empereur Alexandre II, en dotant la Russie d’assemblées provinciales, a pour la première fois appelé les différents ordres de la nation à délibérer en commun ; mais telle est encore la distance entre elles que, dans les réunions qui leur sont communes, dans les assem-

  1. Voyez, par exemple, un écrivain slovène, M. Celestin : Russland seit Aufhebung der Leibeigenschaft, p. 381. Laybach, 1875.