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Pierre est assez avancée, là Russie est assez européenne pour être associée à l’œuvre civilisatrice. Après l’avoir contrainte à goûter aux arts et aux sciences de l’Occident, il devient malaisé de l’empôcher de mordre à ses libertés. Aussi, le règne d’Alexandre II pourrait-il être regardé comme la clôture d’un long cycle historique, le cycle des réformes autocratiques.

En persistant à maintenir le régime absolu dans son intégrité, l’autocratie prétend se survivre à elle-même. En refusant de se prêter à des transformations devenues inévitables, elle risquerait de les rendre plus difficiles et plus périlleuses, sans les rendre moins nécessaires. De Jean III et de Jean IV à Pierre le Grand, et de Catherine II aux trois Alexandre, le pouvoir autocratique semble avoir accompli sa mission historique. On a dit que les États se conservaient par les moyens qui les avaient élevés. Cela peut être particulièrement vrai de la Russie. Par ses traditions, par ses dimensions, par sa composition ethnique et sociale, l’immense Russie a manifestement besoin d’un pouvoir fort ; mais un pouvoir peut être fort sans être absolu. La Prusse et l’empire d’Allemagne en sont une preuve. Après les grandes réformes économiques, sociales, administratives du XVIIIe et du XIXe siècle, devront venir, tôt ou tard, les réformes politiques. Pour compliquées, pour malaisées qu’elles paraissent, je doute que la Russie puisse longtemps s’y dérober. C’est la tâche dont héritera le XXe siècle. Puisse-t-il l’accomplir pacifiquement, graduellement, par la main même des tsars, pour le bonheur des peuples du grand empire[1].



  1. Voyez, 8ur cette grave question, notre tome II, livre IV, chap. III et IV.