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libéral élève du républicain Laharpe, le mystique confident de Mme de Krüdener, me semble personnifier plus qu’une époque et une génération, toute une race d’esprits, encore aujourd’hui vivante aux bords de la Néva.

Comme homme et comme souverain, Nicolas fut tout l’opposé de son frère et prédécesseur. En lui paraissaient revivre les vieux tsars moscovites, rajeunis et policés à la moderne. Grand, bien fait, sévère, infatigable, ne doutant jamais de lui-même ni de son système, Nicolas était le vrai type de l’autocrate. Défiant de tout changement, la stabilité fut son idéal. Effrayé des révolutions de l’Occident, il s’isola de l’Europe. Durant près d’un tiers de siècle, la Russie sembla rétrograder ; mais, dans cette réaction même, se corrigea le défaut capital de la réforme de Pierre Ier, la dénationalisation. La tyrannie de l’imitation s’affaiblit ; la nationalité reparut partout, elle revécut là où elle était le plus à sa place, dans l’art et la littérature. En dépit des théories slavophiles, l’influence européenne n’en fut pas atteinte. Entre l’Occident et ses sujets, Nicolas avait élevé une muraille de Chine, ou mieux, à la manière russe avant l’hiver, il avait soigneusement clos et mastiqué les fenêtres, hermétiquement calfeutré toutes les fentes par où l’air du dehors eût pu pénétrer au dedans ; mais quand le souffle de l’Europe et la pression de l’air extérieur n’eussent pu forcer la douane et la censure impériales, l’atmosphère russe s’était déjà trop imprégnée des idées européennes pour en pouvoir être purifiée. Le règne de Nicolas a montré que, dans son omnipotence, l’autocratie n’était pas assez forte pour arrêter longtemps la Russie sur la pente où l’avait jetée Pierre le Grand. La guerre de Crimée fit éclater à tous les yeux, avec la faiblesse du système stationnaire, la nécessité de se mettre socialement, si ce n’est politiquement encore, au niveau de l’Occident, ne fût-ce que pour être de force à se mesurer avec lui.

Sous Alexandre II, les portes de l’empire ont été rou-