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Pierre l’avantage d’appartenir de naissance à la civilisation qu’elle voulait introduire chez ses peuples. De sa main de femme, la tsarine, demeurée européenne jusque dans ses vices, corrige et adoucit la réforme du tsar moscovite, donnant au pouvoir plus d’humanité et à la cour plus de décence, plus de politesse et de dignité au gouvernement, plus de régularité aux institutions. À Catherine même cependant manque, dans l’administration de l’empire, une des qualités maîtresses de son grand modèle, l’unité de vues, l’esprit de suite. À l’inverse du vainqueur de Poltava, elle est, durant la seconde moitié de son règne surtout, trop portée à négliger le développement intérieur de la nation au profit de son extension matérielle.

L’œuvre de Pierre le Grand a triomphé de l’incapacité ou des vices de ses successeurs comme des répugnances de son peuple. L’histoire a vu peu de succès pareils : ce succès a-t-il été aussi complet qu’il l’a pendant longtemps semblé à l’Occident ? Dans l’ordre matériel la réforme a merveilleusement réussi ; armée ou marine, administration ou industrie, toute la Russie moderne remonte au fils d’Alexis. Plus d’une des mesures du réformateur, comme ses collèges administratifs, ont pu être des méprises ; d’autres, comme son tableau des rangs et sa noblesse de fonctionnaires, bonnes peut-être pour une période de transition, sont en persistant devenues nuisibles. Une telle entreprise était condamnée aux imperfections, aux erreurs même : ce ne sont pas les défauts de détail qui rendent douteux le succès de l’ensemble. Ce qu’il importerait de savoir, c’est si, en réussissant matériellement dans sa réforme, Pierre Alexiévitch a réussi dans son dessein. Le sentier abrupt, qu’il lui a fait escalader, a-t-il mené la Russie à l’Europe et à la civilisation plus vite qu’elle n’y serait arrivée par les circuits d’une route plus douce ?

Quelque dur qu’en soit l’aveu au génie et à la volonté de l’homme, la chose a pu sembler douteuse. Peut-être la Russie, abandonnée aux naturelles séductions du contact