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déguisement occidental. Qu’importe ? Dans son exagération, l’infatigable réformateur est plus perspicace qu’il n’en a l’air ; des mesures à première vue puériles cachent un profond dessein. C’était par les dehors, par les modes et les usages extérieurs que les Russes pouvaient le plus facilement redevenir Européens. Le reste, le fond, l’essentiel devait suivre : après avoir pris l’habit de l’Europe, ses sujets en voudraient prendre les mœurs et les connaissances.

Ce qui dans ses voyages séduit surtout Pierre le Grand, ce qu’il s’efforce le plus d’introduire chez lui, ce sont les inventions mécaniques, c’est le métier, le procédé. Qu’il y ait là encore une impression d’enfant ou de barbare, moins frappé des connaissances théoriques que de leurs applications pratiques, ce n’en est pas moins le côté le plus accessible d’une civilisation ; en un pays comme la Russie, c’était le plus utile en même temps que le plus facile à imiter. Pour se rendre maître du procédé, Pierre à Saardam se fait lui-même ouvrier : il ne se met point seulement à l’école de l’étranger, il se met chez lui en apprentissage. Il se donne une éducation technique, professionnelle, dirions-nous aujourd’hui. Dans son premier séjour en Occident, son voyage d’initiation, ce n’est pas aux universités, aux académies qu’il demande le plus de leçons, c’est à l’atelier, au chantier. Dans son second voyage, s’il donne plus d’attention à l’art ou à la science, c’est toujours avec le sens positif du Grand-Russe et l’esprit pratique du réformateur ; ce sont les sciences naturelles, l’anatomie, la chirurgie, qui excitent le plus son intérêt, c’est la mécanique, la nautique, le génie militaire et civil. D’Europe, il ramène peu de savants et moins d’artistes, mais une armée d’ouvriers et de contremaîtres.

De retour chez lui, il suit une méthode analogue ; ne dédaignant rien, il veut tout enseigner lui-même. Dans l’armée, dans la marine, il se plaît à passer par tous les grades, faisant un jour le tambour, un autre le pilote.