Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier soumet Novgorod, le second en achève la ruine par les supplices et les déportations. Les dernières principautés, les dernières villes libres, disparaissent, et avec elles tout droit des princes, des grands ou du peuple. La Russie est unifiée de la Caspienne à la mer Blanche, et dans cet empire, déjà le plus vaste de l’Europe, il n’y a qu’un pouvoir, le tsar. Sous Jean IV, Ivan le Terrible, l’autocratie, arrivée à son apogée, aboutit à une espèce de terreur méthodique. Fourbe mystique, d’une piété inhumaine et d’une atrocité sarcastique, réformateur sanguinaire, élevé au milieu des soupçons et des complots, esprit singulièrement libre et curieux pour son temps et son pays[1], mêlant le sens pratique du Russe à des bizarreries d’halluciné, assassin de son fils et mari d’autant de femmes qu’Henri VIII, Ivan IV, l’ennemi des boïars, est comme Néron demeuré populaire. Trop honni jadis, peut-être trop vanté aujourd’hui, ce tsar niveleur est le sauvage précurseur de Pierre le Grand, avec lequel les ballades rustiques l’ont parfois confondu[2], et qui, lui aussi, eût mérité le nom de Terrible.

Affranchis de la domination tatare, les Russes s’étendent en tout sens sur leurs vastes plaines. Descendant le Volga, ils débouchent dans la Caspienne, sur le chemin du Caucase et de l’Asie centrale ; remontant la Kama, ils franchissent l’Oural, et un brigand cosaque conquiert la Sibérie.

Avec les Tatars, le champ (pole), la steppe du Sud avait temporairement assujetti la forêt du Nord sans pouvoir se l’assimiler. Avec les tsars moscovites, la région forestière, devenue le siège d’un État agricole, stable et centralisé, tel qu’il ne s’en pouvait former dans la mer sèche[3] des steppes, soumet à son tour la région déboisée et, par la

  1. Voyez la curieuse correspondance d’Ivan IV avec le rebelle Koursbsky et avec la reine Elisabeth.
  2. Voy. Alf. Rambaud, la Russie épique.
  3. Soukhovoé moré, expression de l’historien Solovief.