Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la Russie c’étaient des modèles de despotisme et des exemples de servitude. Aussi, dans la trame grossière de la vie russe, est-il souvent difficile de démêler ces deux fils également orientaux, tant les couleurs nous en paraissent semblables. Pour le malheur des Russes, la civilisation usée de leurs instituteurs chrétiens et la barbarie stationnaire des conquérants musulmans, au lieu de se corriger ou de se neutraliser l’une l’autre, corroboraient chez eux les mêmes défauts. Loin de se faire contrepoids, la double impulsion, qui leur venait du dehors, les poussait dans le même sens et les isolait presque également de l’Europe. Vassal du Tatar ou élève du Byzantin, le Moscovite respirait un air oriental si ce n’est asiatique, car la Byzance du Bas-Empire relevait autant de l’Asie que de la Grèce ou de Rome.


C’est une terrible et admirable histoire que celle de l’autocratie de Moscou, grandie à l’ombre de la Horde. Jamais d’aussi modestes débuts n’atteignirent aussi rapidement à la grandeur, jamais il n’y eut plus frappant exemple de la puissance de la tradition dans une maison souveraine qui, avec le sang et l’héritage, se transmet le but et la tâche, dont les vues, d’abord bornées, vont s’élargissant de génération en génération et où les facultés même semblent s’accroître par une sorte de sélection.

Hommes rusés, avides, peu chevaleresque, peu scrupuleux, qui préparent patiemment la grandeur par la bassesse ; princes pour la plupart d’un esprit médiocre, loin de se distinguer par les brillantes qualités des kniazes de l’époque précédente ; figures ternes, de peu de relief, de peu d’individualité, dont à distance les traits semblent se confondre[1], ces Ivan et ces Vassili du quatorzième siècle

  1. « Tous ces princes de Moscou, dit Solovief, se ressemblent : dans leurs faces sans passion, il est difficile pour l’historien de distinguer les traits caractéristiques de chacun. Ils sont tous imbus de la même idée, ils marchent