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les vieux Russes ; à Byzance même et aux codes des empereurs les verges si ce n’est le knout, les châtiments corporels et les supplices raffinés. On peut se poser la même question pour l’art et pour la poésie, où l’on s’était trop souvent pressé de découvrir une inspiration asiatique. Il est permis de mettre en doute l’opinion des savants qui, dans les chants populaires historiques, dans les bylines russes, ont cru reconnaître des imitations de chants tatars[1], ou des archéologues qui, dans les coupoles russes aux formes bulbeuses, se sont flattés de retrouver un type mongol, en vogue du Gange au Dniepr, partout où régnèrent les successeurs de Genghiz et de Timour[2].

Le plus souvent, dans la vie privée comme dans la vie publique, il est malaisé de faire la part de l’oppresseur musulman et du précepteur orthodoxe, les pacifiques instructions de l’un ayant d’ordinaire confirmé les rudes exemples de l’autre. Entre les enseignements pris à l’école de deux maîtres si différents, il est d’autant plus difficile de distinguer que, à travers toutes les oppositions des deux peuples et des deux civilisations, Byzantins et Tatars donnaient en somme à la jeune Russie des leçons analogues. De Byzance et de Saraï, de la cour amollie du vieil empire en enfance et du camp à demi nomade de pasteurs incultes, des pâles héritiers des traditions classiques et des Tatars, devenus, grâce à leur conversion à l’Islam, les disciples des Arabes et des Persans, ce qui venait surtout

  1. Sur l’origine aryenne on touranienne de ces chants, voyez M. A. Rambaud, la Russie épique.
  2. Viollet-le-Duc, dans son livre de l’Art russe (1877), a ainsi prétendu retrouver partout, dans l’architecture, dans l’ornementation, dans la calligraphie russes, une influence décidément tatare et indienne. Les savants russes, tels que le comte S. Strogonof et M. Bouslaef, ont montré tout ce qu’il y avait d’erreur et de fantaisie dans cette théorie ainsi généralisée ; ils ont prouvé, à l’aide des monuments, que la plupart des traits et des ornements, que l’architecte français voulait faire remonter aux Mongols et à l’Inde, proviennent en réalité des Slaves du sud et des Byzantine. (Voyez en particulier M. Bouslaef, dans la Krititcheskoe Obosrênié de Moscou (janvier et mars 1879), et aussi la brochure du savant P. Martyuof, l’Art russe, Arras, 1878).