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Les nomades des steppes d’Asie sont loin d’avoir été les seuls précepteurs historiques de la Moscovie. À côté de l’influence asiatique des dominateurs mongols ou turcs, la Russie, nous l’avons dit, a subi de bonne heure une influence plus discrète et non moins puissante, à la fois antérieure et postérieure à celle des Tatars, et qui, au lieu d’être combattue par les croyances ou les préjugés du peuple, était fortifiée por ses sympathies et ses superstitions. De Vladimir à Pierre le Grand, la Russie n’a jamais entièrement échappé à l’ascendant byzantin qui s’exerçait par le clergé, par les écoles, par les lois, par la littérature. L’autocratie moscovite, par exemple, ne doit-elle pas autant à la cour orthodoxe des empereurs du Bosphore, qu’au sérail à demi nomade des Khans mongols ? Si le régime de la Horde, que l’on pourrait aussi décorer du nom de patriarcal, a pu donner une couleur asiatique au tsarisme, grandi à son ombre, n’est-ce pas à Byzance et aux Grecs du Bas-Empire que les princes russes ont emprunté le type et le modèle, avec les formes, l’étiquette et le nom même de l’autocratie, comme après la chute de Constantinople Ivan III empruntait aux Paléologues l’aigle impériale[1].

Ce qui est vrai du gouvernement et de l’autocratie semble l’être de bien d’autres choses. Une grande part de ce que dans les mœurs, les modes, les arts, les lois moscovites, on est tenté d’attribuer aux Tatars peut en fait revenir aussi bien aux Byzantins. À Byzance autant qu’aux Tatars reviennent le voile et la claustration des femmes enfermées dans le terem[2] ; à Byzance peut-être aussi les prosternations et le « battement du front » (tchélobitié) avec les formules humiliantes de la cour des grands princes ; à Byzance encore les longs vêtements, le caftan et l’armiak[3], toujours portés par

  1. Le titre russe de Samoderjets n’est guère que la traduction littérale, le calque du titre grec autocrator.
  2. Malgré sa consonance avec l’arabe harem, le mot terem, nom du gynécée russe, vient du grec teremnos qui signifie chambre, maison.
  3. Le mot caftan vient cependant du turc ou tatar ; armiak vient d’Arménie.