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pre à la Russie, c’est que toutes les guerres de son histoire ont eu le même effet. Grâce aux différences de culte, ses luttes contre le Polonais, le Suédois ou l’Allemand ont pris un aspect religieux, aussi bien que sa longue croisade contre le Tatar et le Turc. Pour ce peuple, toute guerre devenait une guerre de religion, et le patriotisme se renforçait de la piété ou du fanatisme. Dans ses combats contre l’infidèle, l’hérétique ou le latin, le Russe apprit à considérer son pays, la seule terre orthodoxe affranchie du joug musulman ou papiste, comme une terre bénie, un sol sacré. Il finit par se regarder, à la façon du Juif, comme le peuple de Dieu, et, rempli pour sa patrie d’un respect religieux, il l’appela la sainte Russie.

Sur la souveraineté politique la domination tatare eut deux effets connexes ; elle hâta l’unité nationale, elle renforça l’autocratie. Le pays qui, sous le régime des apanages y semblait tomber en dissolution, fut relié ensemble par l’oppression étrangère comme par une chaîne de fer. Suzerain des grands-princes, qu’il élevait et détrônait à volonté, le khan leur conférait son pouvoir. La tyrannie asiatique, dont ils étaient les délégués, autorisait les grands-princes à gouverner tyranniquement. Leur {{{2}}} vis-à-vis des Russes avait son principe dans leur servitude vis-à-vis des Tatars. Grdce à la Horde, il y eut ainsi dans les mains du veliki-kniaz de Moscou, transformé en agent général des Tatars, une concentration territoriale des différentes principautés, en même temps qu’une concentration politique des pouvoirs. Toutes les libertés, tous les droits ou privilèges disparurent. La cloche du vetché cessa d’appeler les villes aux assemblées populaires. Les boïars et les anciens princes apanagés n’eurent plus d’autres dignités que celles que leur conféra le souverain. Aristocratique ou démocratique, tout germe de gouvernement libre fut étouffé. Il ne resta plus qu’un pouvoir, le grand-prince, l’autocratie, qui après plus de cinq cents ans demeure encore la base de l’empire.