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ajoutée à l’oppression du climat, creusa plus profondément certains traits déjà marqués par la nature dans l’âme du Grand-Russe. La nature l’inclinait à la soumission, à la tristesse, à la résignation : l’histoire confirma ces penchants. Comme le climat, l’histoire aussi l’endurcissait.

Un des effets de la domination tatare et de toute l’histoire russe, c’est l’importance donnée au culte national. Par là, la Russie rappelle de nouveau l’Espagne. Le malheur ouvre à la foi aussi bien l’âme des peuples que le cœur de l’individu, la religion puise une vigueur nouvelle dans les calamités publiques comme dans les deuils privés. Une telle impulsion devait être durable dans un siècle comme le treizième, en un pays comme la Russie. De tous côtés surgissaient les prophéties et les apparitions, chaque ville avait son image miraculeuse qui arrêtait l’ennemi. Au milieu de la pauvreté universelle, les richesses avec les offrandes affluaient aux églises : les noires icônes byzantines se révélaient d’argent ou d’or massif et s’entouraient de ces splendides parures de pierres précieuses qui étonnent le voyageur. Les hommes se pressaient dans les monastères, dont les murailles crénelées étaient le seul asile de la sécurité du corps comme de la paix de l’âme. La politique des Tatars tournait au profit de la religion ou du clergé. Désireux de ménager le culte des vaincus, les khans s’en faisaient presque les protecteurs. Par eux, les biens des églises furent dégrevés d’impôts, et, comme les grands-princes, les métropolitains reçurent de la Horde la confirmation de leur dignité.

Le joug d’un ennemi étranger au christianisme fortifiait l’attachement au culte chrétien. Religion et patrie ne faisaient qu’un ; la foi tenait lieu de nationalité et la conservait. Déjà s’établissait l’opinion qui lie encore la qualité de Russe à la profession de l’orthodoxie grecque et fait de celle-ci le principal garant du patriotisme. De pareils faits se sont rencontrés chez d’autres peuples ; ce qui est pro-