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choc sur la Kalka (1224). Une seconde invasion ne rencontra de résistance que derrière les murs des villes. Les deux capitales Vladimir et Kief, et avec elles la plupart des cités, furent prises d’assaut. Il sembla que la nation russe allait disparaître et que ces immenses plaines, qui prolongent l’Asie, allaient définitivement devenir asiatiques.

La nature, qui avait préparé l’invasion, lui marquait elle-même une limite. Les Tatars, maîtres des steppes du sud-est, où ils semblaient se retrouver dans leur patrie, se sentaient mal à l’aise dès qu’ils s’enfonçaient dans les forêts du nord. Ils ne s’y établirent point. À ces régions trop européennes pour leurs mœurs à demi-nomades, les Asiatiques demandèrent des tributaires plutôt que des sujets. Les kniazes reçurent leurs principautés en fief des Mongols ; ils durent avoir auprès d’eux une sorte de résidents tatars, des baskaks chargés de faire le recensement et de lever l’impôt. Obligés d’aller à la Horde, au cœur de l’Asie, recevoir leur investiture des héritiers de Ginghiz, ils finirent par devenir les vassaux d’un vassal du grand-khan. À ce prix, la Russie garda sa religion, ses dynasties, et, grdce à son clergé et à ses princes, sa nationalité.

Jamais peuple ne fut mis à une telle école de patience et d’abjection. Saint Alexandre Nevsky, le saint Louis des Russes, est le type des princes de cette époque, où l’héroïsme se devait plier à la bassesse. Vainqueur des Suédois et des chevaliers allemands de la Baltique, qui, au lieu de la secourir, disputaient à la Russie quelques lambeaux de territoire, Alexandre Nevsky dut, pour protéger son peuple, se fairo petit devant les Tatars. Vis-à-vis d’eux, les princes russes n’avaient d’autres armes que la prière, les présents et l’intrigue. Ils en usaient largement pour le maintien ou l’agrandissement de leur puissance, s’accusant et se calomniant les uns les autres auprès des maîtres étrangers. Sous cette avilissante et appauvrissante domination, les germes de culture déposés dans les an-