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version des Russes au christianisme. Elle fut si rapide, si facile, qu’en une centaine d’années ces colonies de l’intérieur rivalisaient avec les métropoles de l’Occident, et tendaient à devenir le centre de l’empire. Au milieu du douzième siècle, un kniaz de Vladimir sur la Kliazma, à quelques lieues à l’est de Moscou, prenait, sans changer de capitale, le titre de grand-prince, jusque-là réservé au souverain de Kief. Un peu plus tard la ville sainte du Dniepr était prise et saccagée par des mains russes. Dans ces compétitions de princes, il n’y eut cependant ni lutte de race, ni schisme national entre les nouveaux Russes de la Souzdalie et la Rous primitive, comme l’ont depuis prétendu ceux qui des Grands et des Petits-Russiens veulent faire deux nations différentes. Si cette guerre de la Kiovie et de la Souzdalie avait un sens historique, c’était le choc du régime patrimonial du nord avec l’anarchie patriarcale du midi, c’était le premier triomphe de l’autocratie déjà en germe dans les forêts de l’est, sur les traditions lignagères des kniazes et les traditions d’indépendance des villes ou des tribus de l’Ouest.

Sur les bords du Volga, de la Kliazma, de la Moskva, les relations mutuelles des héritiers de Rurik et de leurs sujets s’étaient en effet peu à peu modifiées. Dans les faibles villes, fondées par les kniazes au milieu de contrées désertes ou d’indigènes païens, peu ou point d’assemblées populaires, plus de vetchés[1] pour limiter l’autorité du kniaz. Dans ces régions écarlées le prince s’attache au sol conquis ou colonisé par lui, il se fixe dans sa résidence au lieu de passer d’un apanage à l’autre. À la souveraineté indivise de la maison de Rurik se substitue le régime patrimonial héréditaire qui, par l’héritage ou la conquête,

  1. Vetché (de vêchtchat, parler, discourir, cf. parlement), assemblée du peuple, qui s’est longtemps conservée à Novgorod et à Pskof, tandis qu’à Rostof et dans les villes de Souzdalie, dans la future Moscovie, le vetché fut bientôt supprimé ou réduit à l’impuissance.