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porte déjà un nom slave et adore à Kief les dieux slavons[1].

En Russie comme partout, une femme ouvrit la voie au christianisme. Olga, la Clotilde russe, reçoit le baptême à Conslantinople. Son exemple, repoussé par son fils Sviatoslaf, est imité par son petit-fils Vladimir, à la fois le Clovis et le Charlemagne de la Russie. Aucune nation n’accepta plus facilement le culte chrétien ; elle avait été préparée au christianisme depuis plus d’un siècle par ses relations avec Byzance, et le christianisme avait été lui-même, cent ans auparavant, préparé pour elle par la traduction des évangiles et de l’office divin en slavon. En les faisant entrer dans le christianisme, Vladimir introduisit ses sujets parmi les peuples européens. Bien que la foi du Christ ait été pour elle plutôt une nourrice qu’une mère, notre civilisation n’a pu se naturaliser que chez des peuples en majorité chrétiens. Aujourd’hui même qu’elle semble le plus libre des langes de son enfance, il est douteux qu’elle se puisse entièrement acclimater chez des religions étrangères. Aucun pays n’est encore entré dans la civilisation moderne par une autre porte que le christianisme[2]. Au temps de Vladimir surtout, la foi chrétienne marquait la frontière morale de l’Europe. Cette frontière, la Russie la franchit dès le dixième siècle ; mais l’Évangile ne devait pas lui faire une place dans la famille où il venait de l’introduire. Ici encore, dans la ressemblance de la Russie avec l’Occident se montre une diflérence capitale. La croix lui vint par un autre chemin, de Byzance et non de Rome, et ainsi le lien même qui la rattachait à l’Europe l’en tint séparée.

Pour connaître les éléments de la civilisation russe, il faudrait apprécier cette forme orientale du christianisme, il en faudrait déterminer la valeur civilisatrice. Malheureu-

  1. Sur la drougina des kniazes, comme sur les boyars de l’époque suivante, voyez plus loin le livre VI : la Noblesse, chap. ii.
  2. C’est là précisément une des choses qui donnent tant d’intérêt à la grande expérience tentée par le Japon.