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fondateurs de leur empire, les Russes ont cherché une généalogie plus nationale. Cette question rétrospective est une de celles qui, depuis vingt ans, ont le plus passionné les historiens de Pétersbourg et de Moscou. Ils ont tardivement appliqué à leur patrie les procédés de Niebuhr envers l’histoire romaine. Pour un savant, Rurik et les Variagues sont des Novgorodiens exilés, ou des Slaves des côtes méridionales de la Baltique, de Rugen, par exemple ; pour un autre, ce sont des Lithuaniens ; pour d’autres enfin, ce sont des bandes d’aventuriers de race diverse, Slaves et Scandinaves mêlés. On a été, dans ces derniers temps, jusqu’à faire, de cet épisode capital, un mythe imaginé par l’amour-propre des moines du douzième ou treizième siècle, jaloux de découvrir à leur nation ou à leurs princes une origine illustre, à la façon des chroniqueurs français qui faisaient sortir nos Mérovingiens de Troie et de Priam[1]. En dépit des derniers travaux, les Varègues semblent devoir être conservés à la Scandinavie. Cette filiation s’accorde mieux avec les annalistes byzantins de même qu’avec Nestor. Les noms de Rurik et de ses compagnons trahissent la souche germanique : le caractère du pouvoir des chefs, leur mode de partage des pays occupés et jusqu’à leur manière de faire la guerre confirment cette origine. C’étaient des Normands à la recherche d’un chemin vers Constantinople, qui, s’emparant de Novgorod et de Kief, fondèrent un État militaire et marchand entre la Baltique et la mer Noire, le long du Dniepr, alors une des grandes routes du commerce de l’Orient. Comme leurs frères d’Occident, ces Northmans russes étaient, selon la remarque de Gibbon, plus redoutables sur l’eau que sur terre : montés sur de petites barques, ils allaient attaquer Constantinople et lui imposer des tributs ou des traités de commerce dont les

  1. Cette thèse, soutenue avec beaucoup d’habileté par M. Ilovaïsky, a été réfutée par l’un des premiers historiens de la Russie, M. Solovief, dans le tome VII° du Sbornykh gosoudarsivennykh snanii (Recueil des sciences politiques), de M. Bezobrazof (1879).