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gurée par Pierre le Grand. Entre les deux camps hostiles se dresse le nihilisme, grandi à leur ombre et comme à couvert de leurs luttes, le nihilisme qui se revêt des armes des deux adversaires et qui, prenant à chacun la partie négative de ses doctrines, nie la Russie avec l’un et nie l’Occident avec l’autre.

Telles sont les trois directions extrêmes entre lesquelles, sous des noms divers et avec des opinions plus ou moins exclusives, plus ou moins tranchées, se partage encore l’esprit russe. Les uns affirment que la Russie possède dans ses traditions de quoi se suffire à elle-même, et font venir de l’imitation étrangère tous les défauts de la société ou du gouvernement. Les autres, ne reconnaissant à leur pays aucun principe social ou politique en propre, le regardent comme un membre attardé de la grande famille européenne et n’imaginent de progrès pour lui que dans les voies ouvertes par l’Occident. D’autres enfin soutiennent que, dans les restes informes du passé, il n’y a rien qui vaille la peine d’être conservé, et appellent la ruine de tout ce qui existe pour édifier à la place un édifice nouveau sans modèle au dedans ni au dehors. Un coup d’œil sur l’histoire russe nous montrera comment ces trois conceptions opposées peuvent également sortir du passé, et dans quelle mesure chacune d’elles peut se prétendre justifiée par les faits.