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sorte de primato, bien qu’ils n’y trouvent aujourd’hui qu’une chose à louer en commun, le mir, la propriété collective du paysan.

Une des causes des hésitations, des inconséquences et des déboires de la politique intérieure des tsars, au dix-neuvième siècle, vient de ce que les souverains, comme les sujets, ont été trop souvent tirés en sens contraire par les deux grandes tendances qui se disputent la direction de l’esprit public. Sous Alexandre II, l’influence de l’Occident et des admirateurs de l’Europe a été presque constamment dominante. Sous Nicolas, l’ascendant est revenu à l’esprit soi-disant national. Sous Alexandre II, le gouvernement a cédé tour à tour à l’un et à l’autre courant, s’abandonnant successivement à des impulsions contraires.

Avec l’empereur Alexandre III, salué par certains Moscovites comme une sorte de Messie national, destiné à rendre la Russie à elle-même, les tendances néo-slavophiles ou nationales sont redevenues prédominantes à la cour et dans le gouvernement. On peut prédire sans témérité que la Russie passera encore, à cet égard, par bien des alternatives, poussée un jour dans un sens, et le lendemain dans un autre, par les vents contraires qui se la disputent. Cela seul explique beaucoup de ses difficuItés et de ses incertitudes, et sa répugnance à entrer dans la voie des transformations politiques[1]. Tant qu’elle n’aura pas su se décider entre les néo-siavophiles et leurs adversaires, la Russie restera sans orientation.

Contre les slavophiles qui revendiquent pour leur patrie une culture propre, originale, susceptible d’un développement indéfini dès qu’elle sera débarrassée des faux dieux du dehors, lutteront longtemps les Zapadniki ou Occidentaux, qui refusent aux Slaves les éléments d’une civilisation nouvelle et veulent continuer la tradition inau-

  1. Voy. t. II, I. VI, ch. iii et iv.