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La longue et difficile campagne de Bulgarie, les attentats du « nihilisme », attribués à la contagion européenne, l’avènement d’Alexandre III, acclamé à Moscou comme une incarnation du vieil esprit russe, ont rendu aux héritiers naguère encore démodés du slavophilisme, un ascendant passager. Il y a, chez les peuples, des heures de fièvre patriotique et d’angoisse publique où tout ce qui a l’air national se fait aisément applaudir. Les batailles livrées pour les Bulgares ont, au delà du Pruth, temporairement remis en honneur tout ce qui de nom ou d’apparence est slave, comme en Allemagne, la lutte contre Napoléon avait remis à la mode ce qui semblait germanique. Pour mieux retremper leur foi en elles mêmes, toutes les nations éprouvent par moment le besoin de s’affirmer, de se glorifier vis-à-vis de l’étranger. En Russie, ce penchant est à certaines époques d’autant plus impérieux que le patriotisme aurait plus de raisons de découragement ou d’inquiétude. Le sentiment national s’exalte d’autant plus volontiers que, pour se faire illusion, il a plus besoin de se monter. C’est là l’excuse des déclamations de certains Russes sur la supériorité de leur culture slave, sur notre décadence intellectuelle, sur la décomposition politique et la pourriture de l’Occident.

Le slavophilisme était né, sous le règne de Nicolas, d’une violente et légitime révolte contre le long servage intellectuel du dix-huitième siècle. En rendant à la Russie le respèct de son histoire et le goût de ses antiquités nationales, en ramenant l’attention et l’affection des hautes classes sur le moujik et le peuple des campagnes, en servant de contrepoids aux copistes systématiques de l’Occident ou aux novateurs de la bureaucratie pétersbourgeoise, les slavophiles ont rendu à leur patrie un incontestable service. Grâce à eux la Russie a recouvré sa conscience natio-

    fait plus d’un écrivain en dehors même des néo-slavophiles, par exemple, le prince Vasiltchikof. (Zemlevladênié i Zemledélié, St-Petersb. 1878. Introduction, p. 24, 30 et passim.)