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la voie de l’imitation ou de l’adaptation occidentale ? — ou bien, au contraire, doit-elle se regarder comme étrangère à l’Occident ? renoncer à des emprunts qui ne conviennent ni à son tempérament, ni à son génie, afin de redevenir elle-même ? De cette conception première de leurs destinées nationales dépendent toutes les vues des Russes sur leur vie civile et politique. Aussi est-ce sur la manière d’envisager l’histoire que se fonde le plus souvent chez eux la diversité des opinions. Les partis historiques remplacent les partis politiques, ou mieux, les tendances, qui tiennent lieu de partis, ont pour point de départ une conception différente de l’histoire nationale. Tel est l’objet de la querelle qui, sous différents noms, s’agite depuis Pierre le Grand entre les Vieux-Russes et leurs adversaires, entre Moscou et Pétersbourg, entre les Slavophiles et les Occidentaux[1].

Pour les Zapadniki et les partisans de l’Occident, la Russie n’a, dans son passé et ses traditions, rien qui la sépare radicalement de l’Europe. Elle n’a point de culture propre vraiment originale, nationale, indigène, elle est seulement en retard sur ses voisins de l’Ouest. Elle est restée un État du moyen âge, ou un État d’ancien régime ; mais rien ne s’oppose à ce qu’elle s’approprie toute la culture des peuples plus avancés, à ce qu’elle fasse, pour la civilisation germano-latine, ce qu’ont fait autrefois, pour la civilisation romaine, les peuples germaniques.

Aux yeux des slavophiles, au contraire, et de beaucoup de patriotes inspirés du même esprit, la Russie est foncièrement diiïérente de l’Europe. Ayant reçu du passé des institutions particulières, elle est, par ses origines, par son éducation, par les éléments de sa culture, appelée à des destinées toutes différentes. Dans la manière dont elle a été peuplée, dont l’État russe a été fondé, dont le sol russe a été occupé, — dans sa conception de la famille, de la pro-

  1. Occidentaux (Zapadniki), partisans de l’imitation européenne ; quant au nom de slavophiles (Slarianophily), il est souvent à tort, en Occident, pris comme synonyme de panslavistes.