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les catholiques notamment, en trouvent le principe dans l’adoption d’une forme inféconde du christianisme, — d’autres, les Allemands surtout, dans l’absence de l’influence germanique, — double défaut parfois réuni sous le nom de byzantinisme. Pour quelques-uns, c’est la privation de l’héritage classique ; pour le plus grand nombre, c’est la domination mongole et le joug talar. Les historiens russes ont toujours devant eux le même problème : placée entre l’Europe et l’Asie, ayant du sang de l’une et de l’autre, la Russie est comme issue de leur mariage ; de laquelle des deux est-elle moralement ou politiquement la fille ? Nous avons à nous faire, pour le développement social, la même question que pour le sol ou la race : en quoi la Russie est-elle européenne, en quoi est-elle asiatique, en quoi est-elle simplement slave et russe ? Les siècles de sa longue enfance l’ont-ils, par une éducation analogue, disposée à la vie européenne, ou bien l’ont-ils façonnée à une culture propre, originale, foncièrement distincte de celle de l’Occident ? Pour emprunter les termes d’un de ses écrivains, la différence entre la Russie et l’Europe est-elle dans le degré ou dans le principe même de la civilisation[1] ?

C’est là le point autour duquel tournent la plupart des questions soulevées en Russie. Il ne s’agit de rien moins que de la vocation du pays et du peuple. Pour acclimater une civilisation, il ne suffit point d’un sol propice, il faut que la nation, où elle est transplantée, y soit déjà préparée par les éléments de la culture. Chez le peuple russe, si longtemps disputé entre des influences contraires, la solution d’un pareil problème est loin de demeurer théorique ; c’est une question vivante d’une application pratique, qui doit décider de la marche même du pays.

Il s’agit de savoir quelle doit être l’altitude de la Russie vis-à-vis de l’Europe ; doit-elle s’en considérer comme l’élève ? comme telle, se mettre à notre école et persister dans

  1. M. Iourii Samarine, Jesouity i ikh olnochénié k Rossii, p. 364.