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manitaire, se montre une sorte d’ascétisme naturaliste, pour nous plus bizarre encore. Le révolutionnaire idéal, le type achevé des « hommes nouveaux, » Rakhmétof, n’a point seulement toutes les perfections morales de la solidarité et de la fraternité rêvées ; comme un anachorète chrétien ou un extatique de l’Inde, Rakhmétof se plaît à renoncer aux joies de la vie et aux plaisirs des sens ; il aime à se priver, à se mortifier pour ressembler à son dieu souffrant, le peuple opprimé. Lorsqu’on lui servait des fruits, Rakhmétof ne mangeait que des pommes parce que, en Russie, c’est le seul fruit dont le peuple puisse manger. S’il ne portait pas de cilice, ce revendicateur des droits de la chair, au lieu de dormir sur un lit, se plaisait à coucher sur un feutre garni de petits clous d’un pouce de longueur[1].

Il y a sans doute peu de Rakhmétof en dehors des romans : parmi les admirateurs de Tchernychevski un trop grand nombre s’abandonnent au dévergondage autorisé par leurs tristes doctrines. Ce stoïcisme, ce dédain des jouissances matérielles, impérieusement réclamées pour autrui, se retrouve cependant parfois dans la vie réelle. Parmi les novateurs de l’un et de l’autre sexe qui professent et souvent pratiquent l’amour libre, j’en ai connu qui, par une orgueilleuse contradiction, tenaient à honneur de ne pas user des droits qu’ils revendiquaient. Cela se rencontre naturellement surtout parmi les femmes, toujours plus disposées aux contradictions, plus désireuses d’ennoblir toutes les aberrations. C’est chez elles, chez quelques-unes de ces dévotes du nihilisme, chez ces jeunes filles qui en sont les plus ardents prosélytes et les plus courageux missionnaires, qu’on voit le mieux tout ce que ce répugnant matérialisme peut recouvrir de sentiments généreux et d’idéalisme inconscient. Entre ces

  1. Citons une des maximes de Rakhmétof : Puisque nous demandons que les hommes jouissent complètement de la vie, nous devons prouver par notre exemple que nous le demandons, non pour satisfaire nos passions personnelles, mais pour l’homme en général.