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de l’Asie centrale ; entre la mer Noire et la Caspienne, elles aboutissent à la gigantesque muraille du Caucase, dont le pied est en partie au-dessous du niveau de la mer, et dont les sommets surpassent de 800 mètres les cimes du mont Blanc. Au nord-ouest, dans le Ladoga et l’Onéga, la Russie a les plus grands lacs de l’Europe ; en Sibérie, dans le Baïkal et le Balkhach, les plus grands de l’Asie ; au sud, dans la Caspienne et l’Aral, les plus grands de la terre. Ses rivières sont en proportion de ses plaines : en Asie, l’Obi, l’Iéniséi, la Léna, l’Amour ; en Europe, le Dniepr, le Don, le Volga, l’artère centrale de la Russie, un fleuve qui, avec son cours sinueux de près de mille lieues de long, n’est plus européen. Les neuf dixièmes du territoire russe sont encore à peu près vides d’habitants, et la Russie compte déjà une population de près de 120 millions d’âmes, le double de celle des États chrétiens les plus peuplés des deux mondes.

À ne regarder que la Russie européenne, de l’océan Glacial au Caucase, ce pays appartient-il bien à l’Europe ? Les proportions seules sont-elles agrandies et n’y a-t-il de changé que l’échelle des dimensions ? ou plutôt cet élargissement prodigieux des terres ne suffit-il point à séparer la Russie de notre Europe occidentale ? Les conditions de la civilisation ne sont-elles pas modifiées par l’agrandissement démesuré de la scène que doit remplir l’homme ? Le seul contraste des proportions serait entre la vieille Europe et la Russie une différence capitale : mais est-ce la seule ? De cette première opposition n’en découle-t-il point d’autres non moins importantes ? La structure géographique, le sol, le climat de la Russie, sont-ils européens ?

Au lieu d’être, comme l’Afrique, rattachée au tronc commun du vieux monde par un étroit pédoncule, l’Europe forme une presqu’île triangulaire dont la large base s’appuie tout entière à l’Asie et fait corps avec elle. Entre l’une et l’autre, il n’y a qu’un mince bourrelet, une chaîne de montagnes de peu d’épaisseur et de peu de hauteur,