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invétérées. À vrai dire, c’est le premier et le dernier problème, sans la solution duquel toute étude sur la Russie demeure sans base comme sans conclusion. Pour apprécier son génie et ses ressources, son présent et plus encore son avenir, il faut connaître le sol qui la nourrit, les peuples qui l’habitent, l’histoire qu’elle a vécue, la religion qui l’a élevée. Commençons par la nature, par la terre et le climat ; voyons quel est le développement moral et matériel qu’ils lui permettent, la population et la puissance qu’ils lui promettent.

La première chose qui frappe le regard dans l’empire russe, c’est l’étendue[1]. Il couvre plus de 22 millions de kilomètres carrés ; en Europe seulement, il en occupe 5 millions 1/2, c’est-à-dire environ onze fois plus que notre France mutilée, seize ou dix-sept fois plus que l’Italie unifiée ou les trois royaumes britanniques[2]. Ces dimensions colossales sont tellement hors de proportion avec la petitesse de nos grands États européens que, pour en donner à l’imagination une juste idée, l’un des plus illustres savants de notre siècle a eu recours aux astres. Selon la remarque d’Alexandre de Humboldt, la partie de notre globe soumise au sceptre de la Russie est plus grande que le disque de la lune en son plein[3]. Dans cet empire d’une immensité sidérale, la terre n’a point de bornes ; ses plaines, les plus vastes de notre planète, se prolongent au cœur du vieux continent jusqu’aux massives montagnes

  1. Je rappellerai au lecteur que toute cette description de la Russie et des peuples qui l’habitent a été écrite avant l’apparition du volume de la Géographie universelle de M. Élisée Reclus, consacré à l’Europe Scandinave et russe. (Voyez la Revue des Deux Mondes des 15 août et 15 sept. 1873).
  2. Aujourd’hui ; il n’est plus exact que l’empire russe soit le plus vaste du globe. L’empire britannique, accru par de continuelles annexions en Asie, en Océanie, en Afrique surtout, l’emporte pour la superficie ; quant à sa population, elle est presque triple de celle de l’empire du Nord ; mais ce dernier garde le double avantage de la contiguïté des territoires et d’une population plus homogène.
  3. Asie centrale, t. III, p. 34.