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des deux côtés du nord, éclairant le ciel de leurs teintes simultanées, comme s’ils se réfléchissaient mutuellement.

Sur le 60° degré, à la latitude de Pétersbourg, il n’y a déjà plus de nuit à la fin de juin, bien qu’il faille remonter jusque vers le 66° parallèle, au-dessus d’Arkhangel, pour voir le soleil à minuit sur l’horizon. Ces nuits mystérieuses, si calmes pour l’œil et l’imagination, sont parfois excitantes pour les nerfs : elles semblent répugner au sommeil. Aussi pour mieux jouir des longues soirées, beaucoup de Russes font-ils la sieste tout comme les peuples du Midi. Il y a dans ce jour continu un secret stimulant qui le rend vite fatigant pour les étrangers et fait désirer le retour des nuits. Elles reviennent bientôt, grandissant aussi promptement qu’elles avaient décru. Déjà dans les nombreux rites d’origine païenne qui, lors de la Saint-Jean, fêtent le solstice d’été, aux chants de joie qui célébraient le soleil, parvenu au sommet de sa course ascendante, se mêlaient des chants de tristesse qui pleuraient d’avance sa rapide descente vers l’hiver.

Avec les nuits revient l’automne, la moins accentuée et la moins originale des saisons russes, mais non la moins belle. Les forêts prennent ces teintes chaudes et variées dont l’été ne peut égaler la richesse. Les fréquents changements de l’atmosphère donnent au ciel des tons d’une sombre et mobile beauté, et, sur les branches des bois ou sur l’herbe des steppes, les premières gelées et le premier givre ont des charmes qui ne sont bien connus que de l’œil matinal du chasseur. Puis, dans cette décadence des jours et de la végétation, il y a un sentiment de tristesse, une poésie doucement mélancolique qui va bien à cette nature du Nord. L’automne dure souvent longtemps, les jours raccourcissent, les feuilles tombent, les oiseaux émigrent, espèce par espèce ; — le coucou, le plus frileux, donne parfois le signal du départ dès la fin de juillet ; — les pluies, puis les neiges se succèdent ; mais l’hiver, le véritable hiver russe, n’est réellement arrivé que lorsque la terre est ensevelie