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dire tout à coup : l’œil peut presque en suivre l’épanouissement jour par jour, et le laboureur a une joie plus vive à voir le grain qu’il vient de semer lever, jaunir et mûrir en quelques semaines. Dans le nord de la Russie, la rapide croissance des jours rivalise avec celle des plantes ; comme, des longues nuits d’hiver aux longues journées d’été, l’intervalle à franchir est plus grand, les jours s’allongent quotidiennement d’une durée plus notable. Tout ainsi se réunit, terre et onde, plantes et lumière pour rendre plus intense l’impression du renouvellement.

Les anciens Russes ne comptaient pas ce bref printemps pour une saison : ils n’en avaient que trois, l’été, l’automne et l’hiver. L’été, avec quelques-uns des inconvénients des pays méridionaux, avec une chaleur parfois pesante, avec la poussière et souvent la sécheresse, apporte à la Russie plusieurs des charmes du Midi, la beauté de l’atmosphère et du ciel, la douceur de l’air, la vaporeuse transparence des horizons et la fraîcheur de l’ombre et de l’onde, la délicieuse fraîcheur du premier matin ou des dernières heures du soir. Dans la moitié septentrionale de l’empire, l’été a des tableaux qui lui sont propres et que l’œil ne peut soupçonner sans en avoir joui. Les nuits d’été du Midi avec leur molle température et leur ciel diaphane sont belles, les nuits d’été du Nord ne le sont pas moins, et sont plus surprenantes. Aucun pinceau ne saurait rendre la délicatesse de leurs nuances, aucun, la finesse de leurs dégradations. Dans ces nuits où le soleil descend à peine au-dessous de l’horizon, aux vives couleurs des couchers de soleil du printemps succèdent des teintes d’opale ou de nacre qui semblent appartenir à une autre planète. La lumière en pâlissant semble prendre quelque chose d’éthéré ; ce n’est ni le jour ni la nuit, ce n’est ni l’aube ni le crépuscule, ou plutôt ce sont les deux à la fois. Plus l’on monte vers le cercle polaire, et plus le couchant et l’aurore se rapprochent dans l’espace comme dans le temps ; vers minuit, on les voit rougir ou blanchir à peu de distance l’un de l’autre