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saluent-ils la pluie et lui souhaitent-ils la bienvenue dans des chants traditionnels. Avec les rivières et tout le monde des eaux, renaissent, dans les forêts et les prairies, les feuilles et les fleurs, précédées des oiseaux, qui s’étaient réfugiés dans des climats plus doux et dont un naïf calendrier populaire annonce jour par jour le retour : l’alouette, la grolle et l’hirondelle, qui, selon la légende russe, s’en revient du paradis et en ramène la chaleur. La nature, sous toutes ses formes, paraît d’autant plus vivante et plus jeune que plus profonde avait paru sa mort.

L’homme accueille ce renouvellement de toutes choses avec une joie qu’on ne peut concevoir ailleurs. Les paysans du nord, dans leurs chants populaires, célèbrent avec une naïve poésie le départ de l’hiver et le retour du printemps. Montant sur leurs collines ou sur leurs toits pour le saluer de loin à son arrivée, ils chantent, dès le mois de mars : « Viens, ô printemps, beau printemps, viens avec la joie, viens avec du lin élevé et du blé abondant[1]. » Dans plusieurs pays, ils rappellent d’avance avec des rites et des incantations d’origine païenne : ailleurs les fêtes pour la résurrection de la nature se confondent avec celles pour la résurrection du Christ, comme si l’une était le type ou le symbole de l’autre. Le premier mai est presque partout une fête populaire : les Russes vont se promener aux bois, et, comme la colombe de l’arche, en rapportent de jeunes pousses d’arbre en témoignage du retour de la verdure et de la disparition de l’hiver. La sensation du soleil ou des chaudes brises du printemps est déjà seule pleine de délices. Le corps, débarrassé de ses lourds vêtements, semble allégé en même temps que rajeuni.

Le printemps russe est court ; après les laideurs du dégel il aboutit vite aux ardeurs de l’été ; mais la brièveté même en augmente l’effet. Il y a quelque chose d’admirable dans la soudaine éruption de la végétation, qui éclate pour ainsi

  1. Voyez p. ex. M. Ralston : Songs of the russian people.