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travers une rangée de collines escarpées, aussi hautes peut-être que celles du Rhin, du Danube ou du Nil : le fleuve, étant plus large que ces falaises ne sont hautes, les rapetisse et en amoindrit l’effet. Tout souffre en Russie de ce manque de proportion entre la coupe verticale et le plan horizontal des paysages. Ce qui est peut-être le plus réellement pittoresque, ce sont les calmes étangs des forêts désertes, les ravins creusés dans la steppe par la fonte des neiges, les gorges boisées où serpente en silence une lente rivière.

Sur le sol sans relief s’étale une végétation de peu de variété comme de peu de vigueur. La nature répète partout les mêmes espèces, les mêmes plantes, les mêmes arbres. L’homogénéité des conditions de la vie entraîne l’uniformité des êtres vivants, la rigueur du climat fait leur faiblesse, leur débilité. La nature libre a dans la Grande-Russie la monotonie qu’ailleurs l’homme donne à la nature asservie ; elle n’en a pas l’air de force et de santé. À cet égard, la zone boisée, qui comprend la plus vaste et la plus vieille partie de la Grande-Russie, diffère peu de la zone dénudée d’arbres. Les forêts sont peut-être plus pauvres d’aspect que les steppes, car, au printemps, la steppe a sa luxuriante végétation herbacée. Les beaux arbres sont rares et ne se rencontrent guère que dans quelques contrées privilégiées du Centre ou de l’Ouest. Ce sont les mêmes essences qu’en Suède et en Norvège, mais elles n’y ont pas la même vigueur. Au lieu de faire éclater la fécondité, la richesse, l’énergie d’une nature toujours jeune, ces forêts donnent le sentiment de l’impuissance, de l’indigence, de la lassitude. Tantôt les arbres sont malingres et rabougris, petits en paraissant vieux, tantôt ils sont minces et longs sans être hauts, et jettent peu d’ombre sur la terre nue au-dessous d’eux. Ce qui frappe le plus l’œil, c’est l’éternel contraste du pin au tronc rougeâtre avec le bouleau à l’écorce blanche, — le pin droit et nu avec une maigre tête, le bouleau aux rameaux ténus, au feuillage grêle.