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ni les montagnes, ni la mer, et manque de l’impulsion que donne à l’individualité la vie de la mer et des montagnes. Ses forêts, basses et clairsemées, ont peu de majesté ; la plupart de ses nombreux lacs ont des bords plats comme des mares. La Russie est privée des grandes scènes du Nord ; elle n’a ni les côtes battues par les vagues, ni les îles escarpées, ni les golfes et les fiords aux replis sinueux, ni les rochers de granit, ni les glaciers, ni les torrents et les cascades. Elle n’a rien de cette puissante nature septentrionale qui a enfanté la rude mythologie du Nord ; elle a peu de ce qui aiguillonne la personnalité.

La nature russe a deux caractères opposés : l’amplitude et la vacuité, l’étendue de l’espace et la pauvreté de ce qui l’occupe. Sur des surfaces énormes, elle ne montre ni variété de formes, ni variété de couleurs. Dans la nature vivante et dans la nature inanimée, il y a une égale indigence de grandeur et de force. Le pittoresque est absent ou réduit à une échelle minime qui le rend d’abord imperceptible à l’œil de l’étranger. Le voyage dans ces plaines mamelonnées, où les villes et les villages sont rares, donne presque le même sentiment de satiété qu’une traversée en mer. On peut, pendant de longs trajets en chemin de fer ou en bateau à vapeur, fermer les yeux le soir et les rouvrir le lendemain sans s’apercevoir que l’on a changé de place. Seules, quelques villes étagées au bord des fleuves ou des lacs, avec leurs vieilles murailles et leurs coupoles de couleur, ainsi que Kief, les deux Novgorod, Pskof, Kazan, offrent de loin un spectacle imposant. La grandeur même des rivières en diminue la beauté : en vain se dresse sur une de leurs rives une falaise élevée, parfois couverte de grands arbres ; ces berges sont d’ordinaire trop basses pour la largeur du fleuve et en sont écrasées. Cette disproportion gâte les plus beaux passages du Dniepr, du Don, du Volga, dans le grand coude de ce dernier, par exemple, entre Stavropol et Syzrane, alors que « la mère Volga » s’ouvre une route à