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sont nés cet esprit de ressources, cette fécondité de moyens, ce tact des hontmes et des choses, qui distinguent le Grand-Russe. Apparente dans les mœurs, la politique, la littérature, cette tendance n’est pas moins saillante dans les choses d’où elle semblerait devoir être le plus absente, la poésie et la religion. Les chants populaires du Grand-Russe montrent peu de goût pour les abstractions ou les personnifications d’aucune sorte. Nul peuple n’a l’esprit moins métaphysique, nul ne se préoccupe moins de l’essence des choses. Ses sciences favorites, celles qui déjà l’attirent le plus, sont les sciences physiques, les sciences naturelles, les sciences sociales. Il règne dans la nation, dans les sphères instruites comme dans les masses ignorantes, un positivisme plus ou moins réfléchi. La qualité qu’estime le plus le paysan est le bon sens ; le plus grand mal qu’il puisse dire du Polonais, c’est de l’appeler tête sans cervelle. Il y a peu de peuples aussi dépourvus de sentimentalité et s’en faisant davantage un mérite.

Chez lui la prétention à l’esprit pratique va quelquefois jusqu’à une sorte de brutalité. N’est-ce pas un Russe qui a dit qu’un morceau de fromage valait mieux qu’un Pouchkine ? Ces instincts réalistes sont sensibles dans la littérature et dans toutes les branches de l’art, dans la peinture notamment, dans la critique, dans l’histoire, dans la philosophie, ou mieux dans l’absence de philosophie et de métaphysique. Comme le classicisme du siècle précédent, le romantisme de la première moitié du dix-neuvième siècle n’a guère été, malgré le génie de Pouchkine et de Lermontof, qu’une importation du dehors. Aujourd’hui, et depuis longtemps déjà, la littérature nationale appartient presque tout entière au réalisme ou au naturalisme. De tous les écrivains étrangers, le plus lu et le plus goûté est M. Zola, qu’un de leurs romanciers[1] appelle l’Her-

  1. M. Doborikine.