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population mal nourrie, mal logée, de périodiques ravages[1].

Si les hautes classes ont un régime alimentaire mieux en rapport avec la latitude, leur genre de vie leur en enlève souvent le bénéfice. Nulle part l’ordre naturel de la veille et du sommeil n’a été à ce point renversé, nulle part on ne fait à ce point de la nuit le jour ; peut-être est-ce encore une conséquence indirecte du climat qui, dans le nord, supprime tour à tour le jour et la nuit, ou exagère démesurément l’un aux dépens de l’autre.

À l’influence débilitante du climat se joignent des habitudes qui tendent à exagérer la sensibilité nerveuse. Les précautions même que le froid oblige à prendre sont peu saines. Pour résister à l’hiver, il faut vivre dans une atmosphère lourde, épaisse, d’air vicié, rarement renouvelé ; contre le grand froid, il faut accumuler d’avance des provisions de chaleur et se faire dans la maison, avec du feu et des poêles, un climat artificiel presque aussi chaud que l’été du midi de l’Europe. Plus la température est basse au dehors, plus elle doit s’élever au dedans. Derrière leurs doubles fenêtres, enduites de mastic pour toute la saison, les habitants des villes changent leurs appartements en serres tièdes, où ils respirent le même air que les plantes des tropiques, dont ils aiment à embellir leurs demeures. Dans son izba de bois, souvent entourée d’un rempart de fumier, le paysan s’entasse avec toute sa famille autour de l’énorme poêle, sur lequel tous dorment la nuit. De cette atmosphère énervante, il faut chaque jour passer à l’air glacial du dehors ; après avoir fait provision

  1. Pour la plus grande partie de la population qui fait entrer la viande dans sa nourriture habituelle, cet aliment a peut-être perdu quelques-unes de ses qualités par suite du procédé au moyen duquel on le conserve. En Russie, on fait geler au commencement de l’hiver la viande et le poisson dont on a besoin pour la saison ; cela facilite singulièrement les transports et les approvisionnements ; mais il n’est pas impossible que cette viande, qu’on fait dégeler au moment de l’apprêter, soit moins salutaire que de la viande fraîche.