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rel chez le paysan russe que la sobriété chez le Sicilien ou l’Andalou : c’est le défaut du climat plus que le vice de l’homme. Tant qu’il n’aura pas un meilleur régime, l’eau-de-vie sera pour le moujik un réconfortant malsain, mais difficile à remplacer. Ce qui est le plus à regretter, ce n’est pas qu’on n’en puisse proscrire l’emploi, c’est qu’on ne le puisse régler, c’est qu’en un jour de débauche il faille voir absorber (les Russes ne boivent pas les liqueurs, ils les engloutissent d’un trait) des quantités de vodka qui, sagement réparties, serviraient à la santé du paysan au lieu de tourner à son abrutissement.

On a beaucoup exagéré, en effet, l’intempérance des sujets du tsar. Le Russe boit moins que le Danois, moins peut-être que l’Anglais, l’Allemand, le Français. Beaucoup de moujiks, qui s’enivrent à chaque fête, demeurent des semaines sans prendre une goutte d’alcool. La consommation avait du reste sensiblement diminué durant la seconde moitié du règne d’Alexandre II, grâce sans doute à l’élévation des droits, grâce peut-être aussi au relèvement moral des anciens serfs[1]. Malgré ces progrès, l’ivrognerie, avec tous les vices et les inconvénients qui en découlent, reste une des plaies des campagnes.

En général les villages sont d’autant moins prospères qu’ils comptent plus de kabaks ou cabarets ; aussi fonctionnaires et particuliers s’efforcent-ils d’en réduire le nombre. Les paysans ne sont pas toujours sourds aux prédications des apôtres de la tempérance. Certaines communes interdisent tout cabaret sur leur territoire, et, lors du meurtre d’Alexandre II, on a vu plusieurs villages fermer leurs kabaks, en signe de deuil pour la perte

  1. De 1863 à 1879 » la consommation avait baissé de 7 pour 100 malgré l’accroissement de la population. Le nombre des cabarets avait diminué d’une manière encore plus rapide ; de 357 000 en 1863, il était tombé à 139 000 en 1875, pour se relever il est vrai à 146 000 en 1881. Pour un empire aussi étendu, c’est encore là un faible chiffre. Voy. p. ex : Mme O. Novikof : The Temperance Movement in Russia, Nineteenth, Century, sept. 1882.