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la nation a, durant des siècles, été condamnée à un régime maigre, presque entièrement végétal. Sous un climat du nord, elle a vécu comme un peuple du midi ; l’usage de la viande, du lard et du porc salé même ne fait que commencer à s’introduire dans le peuple. Bien que depuis l’émancipation il se soit fait de ce côté de sérieux progrès, le plus grand nombre des paysans ne goûtent encore à la viande qu’aux jours de fête. Le fond de l’alimentation est toujours le pain de seigle, le gruau et le chtchi, sorte de soupe aux choux fermentés, qui est le mets national par excellence. On y joint des champignons desséchés et du poisson gelé ou salé, deux choses dont il ne se fait nulle part une aussi grande consommation qu’en Russie. Une religion venue du sud avec quatre carêmes et des jeûnes orientaux, dont les siècles n’ont pas adouci la rigueur, a augmenté le mal provenant de la nature. Cependant les exigences du climat ne se pouvaient entièrement éluder ; la boisson a pourvu au défaut de nourriture.

Les Russes ont deux boissons nationales : le kvass, sorte d’eau de seigle légèrement fermentée, et le thé, dont en Russie l’usage est presque aussi général qu’en Chine[1]. La bouilloire à thé, le samovar de cuivre, est toujours le premier ustensile d’un ménage : il n’est si pauvre cabane qui en soit dépourvue. Le thé, surtout dans un pays où l’eau est souvent de médiocre qualité, est d’un grand secours ; mais, sous ce ciel, ce n’est point un tonique suffisant. On y ajoute l’eau-de-vie de grain, la pâle, la blanche vodka[2]. Il y a longtemps que l’on a remarqué que l’ivrognerie va en augmentant avec le degré de latitude. Le goût de l’alcool est aussi natu-

  1. A en juger par son nom russe, tchai, qui dérive du chinois, comme, à l’autre extrémité de l’Europe, le cha portugais, le thé est venu directement aux Russes de la Chine. Il y a encore en Russie deux boissons usitées chez le peuple, l’une appelée med (miel), est l’hydromel si en faveur chez les barbares ; la seconde est la bière qui, à en juger par l’étymologie et le nom qu’elle porte en russe comme en polonais (pivo de pit boire), a dû être connue des Slaves depuis une haute antiquité.
  2. Vodka, diminutif de voda, eau.