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vinces baltiques, les rivalités nationales se compliquent en effet de luttes de classes. Les nationalités et parfois les religions y sont en quelque sorte superposées. Tandis que les classes supérieures, que la noblesse et les propriétaires sont allemands ou polonais, de race ou de tradition, la masse du peuple est lithuanienne, bélo-russe, malo-russe, sans compter que les juifs, généralement adonnés au trafic, forment à la fois une classe et une nationalité de plus. On devine les difficultés d’une pareille situation et les tentations qu’elle peut suggérer au pouvoir.

Pour faire échec aux nationalités historiques, patriciennes ou bourgeoises, encore dominantes par la fortune et l’éducation, le gouvernement russe a été conduit à chercher un appui au fond des petites nationalités rurales et pour ainsi dire plébéiennes[1], naguère encore inconnues de l’étranger et presque inconscientes d’elles-mêmes. Au Suédois de Finlande, à l’Allemand de Livonie ou de Courlande, au Polonais de [Lithuanie, ou de l’Ukraine, il a opposé le Finnois, l’Esthe, le Lette, le Samogitien, le Blanc-Russien, le Malo Russe » se servant ainsi à sa manière de l’ethnologie et du principe de nationalité, les retournant contre ses adversaires, rallumant le sentiment national chez des populations où il était parfois éteint depuis des siècles, sauf à l’étouffer un jour s’il devenait trop exigeant. C’est là une des raisons de la politique « paysanne », de la politique démocratique, d’autres ont dit socialiste, adoptée plus d’une fois par les tsars dans les provinces sujettes, spécialement dans l’ancienne Pologne. La Russie avait sur ses frontières de l’ouest, deux ou trois Irlande qu’elle était d’autant plus tentée de mettre au régime des lois agraires que, par leurs traditions ou leur origine, les propriétaires fonciers lui étaient plus suspects. Ce qu’elle a fait sous Alexandre II en Lithuanie, en Podolie, en Pologne même,

  1. L’expression est, si je ne me trompe, de M. Dragomanof : Istoritch, Potcha. etc.