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sorte de conglomérat politique ou de marqueterie de peuples. Ce n’est point à la Turquie ou à l’Autriche, c’est plutôt à la France qu’elle ressemble pour l’unité nationale. Si la Russie peut être comparée à une mosaïque, c’est à un de ces pavages antiques dont le fond est d’une seule substance et d’une seule teinte, dont le cadre seul est fait d’une bordure de différentes pièces et de diverses couleurs. La plupart des populations d’origine étrangère sont rejetées aux extrémités de la Russie et forment autour d’elle, surtout vers l’est et vers l’ouest, comme une ceinture d’une plus ou moins grande épaisseur. Tout le centre est rempli par une nationalité à la fois absorbante et expansive, au milieu de laquelle s’effacent de maigres colonies allemandes ou de minces enclaves flnnoises ou tatares, sans cohésion et sans lien national.

Dans l’intérieur de cette Russie, au lieu des dissemblances et des contrastes, ce qui frappe le voyageur, c’est l’uniformité des populations et la monotonie de la vie. Cette uniformité, que la civilisation tend à répandre partout, se retrouve chez les Russes à un plus haut degré que chez aucun peuple de l’Europe. La langue a, d’un bout de l’empire à l’autre, moins de dialectes et de patois, moins de dégradations de teintes que, sur une bien plus petite surface, la plupart de nos langues occidentales. Les villes ont même figure, les paysans même air, mêmes habitudes, même genre de vie. Il n’est point de pays où les gens se ressemblent davantage ; il n’en est point d’aussi dépourvu de celle complexité provinciale, de ces oppositions de type et de caractère qu’offrent encore l’Italie et l’Espagne, l’Allemagne et la France. La nation s’y est faite à l’image de la nature, elle montre la même unité, presque la même monotonie que les plaines qu’elle habite.

Dans la nation, comme dans le sol russe, il y a cependant deux types principaux, presque deux peuples, parlant deux dialectes différents et nettement séparés dans leur ressemblance même : ce sont les Grands-Russiens et les Petits-