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d’imitation est devenu leur faculté maîtresse, parce que c’était pour eux la plus utile, aussi bien que la plus exercée.

Le retard de leur développement, en même temps que l’imperfection de leurs frontières et de leurs cadres géographiques, n’a point laissé les diverses tribus slaves arriver à une individualité aussi tranchée que celle des nations latines ou germaniques.

Cela ne veut pas dire que les Slaves diffèrent trop peu les uns des autres pour former des peuples distincts, ayant chacun sa langue, sa littérature, ses traditions, son caractère ou son génie propre. Loin de là, l’histoire, la géographie, la religion, la domination ou le contact de l’étranger, les ont déjà trop séparés pour qu’ils puissent jamais se fondre les uns dans les autres, pour que la parenté de race et de langue leur fasse oublier leurs différences nationales. Le panslavisme serait aussi irréalisable que le panlatinisme ; au fond, c’est surtout un épouvantail inventé par les Allemands pour exciter les défiances de l’Occident envers les petites nationalités en lutte contre le germanisme. « Les ruisseaux slaves » n’ont aucun penchant à se perdre dans « la mer russe ». Catholiques ou orthodoxes, ni Tchèques, ni Croates, ni Serbes, ni Bulgares n’ont jamais envié le sort des Polonais de la Vistule. Ce que ses petits frères puînés attendent de la sainte Russie, ce n’est point leur absorption dans les États du tsar, mais la défense de leur indépendance. On le sait à Pétersbourg ; on sait aussi que l’empire compte déjà dans son enceinte assez de peuples et de nationalités pour n’en pas aller accroître encore le nombre. À Moscou même, en dehors de quelques rares utopistes, les rêveurs du « panslavisme » ne vont pas dans leurs songes au delà d’une sorte de patronat des Slaves du Sud ou d’hégémonie slavonne, et cette suzeraineté de la Russie pourrait rencontrer des rebelles parmi les plus dévoués de ses congénères[1].

  1. Voy. dans la Revue des Deux Mondes du 13 déc. 1876 notre étude sur la Politique russe et le panslavisme.