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l’Occident et l’oppression étrangère ont rendu l’étude impossible et empêché tout nom propre de se produire, le peuple a manifesté son génie dans des chants qui n’ont rien à envier aux plus belles poésies de l’Occident. Pour cette littérature populaire, impersonnelle, que nous admirons dans les romanceros espagnols, dans les ballades de l’Écosse ou les chansons de France, le Slave, loin de le céder aux Latins ou aux Germains, l’emporte peut-être sur les uns et les autres. Rien de plus vraiment poétique que les pesmés serbes et les doumi de la Petite-Russie, car, par une naturelle compensation, c’est chez les Slaves les moins initiés à la culture occidentale que la poésie populaire a eu la plus libre floraison.

Qu’apporteront ces nouveaux venus à notre culture européenne ? À la poésie, au roman, ils ont déjà donné des notes nouvelles ; que fourniront-ils à nos recherches scientifiques, à nos conceptions philosophiques, religieuses ou politiques ? C’est là, pour notre civilisation, une grosse question. Peut-être les Slaves sont-ils venus trop tard pour se faire un Panthéon ou un Walhalla aussi glorieusement rempli que ceux des Latins et des Germains. Peut-être, dans la littérature et dans l’art, l’âge héroïque, l’âge du sublime est-il passé ; peut-être, dans les sciences mêmes, les grandes lois aisément accessibles à l’esprit humain sont-elles découvertes, et sommes-nous réduits, pour longtemps, aux applications ou aux inventions de détail. Les Slaves, les Russes en particulier, n’ont pas moins d’ambition intellectuelle que d’ambition matérielle. Avec la témérité de l’adolescent qui, avant d’avoir appris toutes les leçons de ses maîtres, rêve déjà de les devancer ; ils montrent, vis-à-vis des vieux peuples de l’Occident, un dédain que nous devons pardonner à la présomption de leur jeunesse. Ils se flattent de résoudre les problèmes qui s’agi-

    le plus fait, depuis Cyprien Robert, pour nous apprendre à connaître des peuples, que leur lutte contre le germanisme rend aujourd’hui si intéressants pour la France.