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ture européenne pour que leur individualité nationale ait pu atteindre au même relief que celle de leurs rivaux. Longtemps méprisés par les peuples de l’Occident, qui de leur nom (Esclavons) ont tiré le mot esclave, dédaignés par leurs voisins d’Allemagne, qui ne veulent voir en eux qu’une pure matière ethnologique (ethnologische Stoff), les Slaves n’ont probablement dû l’infériorité de leur rôle qu’à leur position géographique. Restés à l’orient, comme à l’entrée de l’Europe, dans la partie la plus massive et la plus exposée aux invasions de l’Asie, ils ont été naturellement les derniers civilisés et l’ont été le moins profondément. Ne pouvant élever de prétentions sur la culture de l’Europe moderne, quelques Slaves ont fait valoir des droits sur celle de l’antiquité. Des écrivains serbes ou bulgares ont imaginé de réclamer comme un patrimoine des Slaves la plus grande part de la civilisation grecque, du Thrace Orphée au Macédonien Alexandre. De pareilles revendications, appuyées sur des chants populaires bulgares de douteuse authenticité, reposent malheureusement plutôt sur le patriotisme que sur la science[1].

Comme ils étaient demeurés presque entièrement étrangers à la discipline de Rome et de la Grèce, les Slaves, par leur situation, par leur langue ou leur religion, sont restés plus ou moins à l’écart des principaux foyers intellectuels de l’Europe moderne, et n’ont pu prendre à son œuvre la même part que les deux autres grandes familles européennes. Il n’y a point à le nier : comme la civilisation antique, la civilisation moderne, celle dont ils jouissent eux-mêmes et dont en Orient ils se font les apôtres, s’est faite presque sans eux. Les Russes et les Slaves du sud n’y ont point apporté une pierre, et l’édifice se fût aisément passé du concours des Slaves occidentaux de

  1. Ce système a été particulièrement formulé par M. Verkovitch dans un recueil intitulé : le Véda slave (Vedti slovena) (Belgrade, 1874), ouvrage que les slavistes les plus compétents regardent comme une mystification. — Voyez par exemple L. Léger, Nouvelles études slaves, Paris, Leroux. 1883.