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rité et où ils ont le plus subi l’ascendant de l’étranger, ils ont abandonné le principal signe extérieur de l’islam, le voile et la réclusion des femmes : encore en strict usage au centre de la Crimée, à Bakhtchi-Saraï, le voile a été rejeté par les musulmanes de la côte Sud. Les mêmes influences font disparaître la polygamie, comme elles ont mis fin à l’esclavage. Les Tartars, isolés en petits groupes dans la Russie, tendent ainsi à passer par les mêmes phases que les Juifs, qui, en gardant leur culte, acceptent peu à peu noire manière de vivre. L’islamisme ne sera peut-être point un plus grand obstacle à leur entrée dans notre civilisation que ne l’est, pour les israélites, le judaïsme, bien plus embarrassé d’étroites prescriptions ritualistes. Sans se confondre avec la masse de la population, gardant plus ou moins longtemps leur langue et leurs coutumes, les musulmans demeurés en Russie y formeront une classe paisible et laborieuse, jouant un rôle à peu près analogue à celui des Juifs et des Arméniens, avec cette différence que, vivant dans la campagne aussi bien que dans les villes, pratiquant l’agriculture aussi bien que le négoce, leur agglomération dans les provinces de l’Est ne saurait donner lieu aux mêmes inconvénients économiques que, dans les provinces de l’Ouest, l’agglomération des Juifs, presque tous voués à la vie urbaine et au trafic[1].

Au point de vue politique, les Tatars de la Russie d’Europe ne donnent déjà guère plus d’embarras au gouvernement russe que ses sujets russes ou finnois. On l’a vu dans la guerre de Crimée ; bien qu’ils formassent alors plus de la moitié de la population, ils n’ont rendu presque aucun service aux envahisseurs, parmi lesquels étaient leurs coreligionnaires et presque leurs compatriotes du Bosphore. La guerre de Bulgarie, la chute de Khiva et la

  1. Les Tatars polonisés de Lithuanie, qui, depuis des siècles, ont perdu leur langue tout en conservant leur religion, et qui sont pour la plupart tanneurs et marchands, montrent ce que pourront être un jour les Tatars russifiés du Volga.