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par son frottement perpétuel avec la matière, il ne s’use comme une meule s’use à la longue à moudre le grain. Mais ces questions ne pourraient être résolues promptement et le temps est cher à un proconsul. Permets-moi du moins de te dire que tu n’as pas raison de croire que le dieu dirige et conserve le monde, puisque, de ton propre aveu, il s’est privé d’intelligence après avoir tout compris, de volonté après avoir tout voulu, de puissance après avoir pu tout faire. Et ce fut là encore, de sa part, une faute très grave. Car il s’ôta de la sorte les moyens de corriger son œuvre imparfaite. Pour ce qui est de moi, j’incline à croire que le dieu est en réalité, non celui que tu dis, mais bien la matière qu’il a trouvée un jour et que nos Grecs appellent le chaos. Tu te trompes en croyant qu’elle est inerte. Elle se meut sans cesse, et sa perpétuelle agitation entretient la vie dans l’univers.