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ces casques ovales d’où tombait un réseau de mailles d’acier fin comme la mousseline, ces boucliers damasquinés d’or m’ont donné dans mon jeune âge une vive admiration pour les émirs exquis et terribles qui combattaient contre les barons chrétiens à Ascalon et à Gaza ; et si maintenant encore je prends tant de plaisir à lire la tragédie de Zaïre, c’est sans doute parce que mon imagination se plaît à parer de ces belles armes l’aimable et malheureux Orosmane. À vrai dire, les casques et les boucliers de Leclerc jeune ne dataient pas des croisades ; mais j’étais enclin à voir dans la boutique de mon vieil ami la cotte de Villehardouin et le cimeterre de Saladin.

C’était l’effet de mon enthousiasme rêveur, et je dois déclarer que l’armurier n’y aidait point. Il limait beaucoup et ne parlait guère. Jamais je ne l’entendis vanter ses armes, hors deux ou trois épées de bourreau qu’il tenait pour de bonnes pièces. Leclerc jeune était un honnête homme, ancien garde royal, très estimé de ses clients.

Il n’en avait pas de plus familier ni de plus assidu que M. de Gerboise, vieux royaliste, à qui il souvenait d’avoir fait la chouannerie