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LES DIEUX ONT SOIF

cellule, tandis qu’on transformait l’église et le cloître en une sorte de petit hôtel de ville qu’ils nommaient la section. Je vis, monsieur, je vis marteler les emblèmes de la sainte vérité ; je vis le nom de l’apôtre Paul remplacé par un bonnet de forçat. Parfois même j’assistai aux conciliabules de la section, et j’y entendis exprimer d’étonnantes erreurs. Enfin je quittai cette demeure profanée et j’allai vivre de la pension de cent pistoles que me fait l’Assemblée dans une écurie dont on a réquisitionné les chevaux pour le service des armées. Là je dis la messe devant quelques fidèles, qui y viennent attester l’éternité de l’Église de Jésus-Christ.

— Moi, mon Père, répondit l’autre, si vous voulez le savoir, je me nomme Brotteaux et je fus jadis publicain.

— Monsieur, répliqua le Père Longuemare, je savais, par l’exemple de saint Matthieu, qu’on peut attendre une bonne parole d’un publicain.

— Mon Père, vous êtes trop honnête.

— Citoyen Brotteaux, dit Gamelin, admirez ce bon peuple plus affamé de justice que de pain : chacun ici était prêt à quitter sa place pour châtier le voleur. Ces hommes, ces femmes si pauvres, soumis à tant de privations, sont d’une probité sévère, et ne peuvent tolérer un acte malhonnête.